
C’était un lundi d’hiver. Une journée froide malgré un soleil volontaire. Une journée où le givre envahit le vide, où le vent glace les membres, où la nature semble en sursis… Moi-même je l’étais. Une journée qui pouvait changer ma vie.
Il est 9h du matin. Je me sens faible. Je n’ai pas déjeuné. Je n’ai même pas fermé l’œil de la nuit. Je crois que cela se voit un peu. Pourtant, j’ai essayé de m’apprêter au mieux. Afin de leur donner la meilleure image de moi. Afin qu’ils prennent la bonne décision. Afin que le calvaire s’arrête.
A mon arrivée, l’austérité du bâtiment finit de m’achever. Un colosse en uniforme m’escorte jusqu’à une pièce étroite et démunie de fenêtre. « Vous pouvez patienter ici. On viendra vous chercher » grommelle-t-il. Je m’effondre de tout mon poids sur la banquette apparemment prévue à cet effet. Elle a dû en supporter des fesses moites et des jambes tremblantes en attente de décision. Je regarde le néon et tente de me calmer. Dans quelques minutes, je serai fixé. Ce sera alors le retour à une vie normale ou, comme je le crains, la poursuite de l’enfer, qui a débuté il y a six mois, le jour du drame.
Ce jour-là, j’avais déjeuné avec ma femme et ma fille puis j’étais parti travailler. J’étais sur la route quand le téléphone a sonné. Un coup de fil anodin à première vue, on devait « me voir le plus rapidement possible », on avait « quelques questions à me poser », juste une « procédure de routine ». Je n’ai rien vu venir. Je n’ai pas compris leurs accusations. Mes explications ne les ont pas convaincus. J’avais mis le doigt dans un engrenage irrémédiable : exclusion de la société, isolement, attente.
En quelques semaines, je suis passé par toutes les émotions. L’incompréhension, tout d’abord. Comment une méprise pareille était-elle possible ? Pour qui me prenaient-ils ? Est-ce que cela va s’arrêter ? Une fois que la nouvelle se répand, c’est la honte qui prend le relai. Moi qui viens d’un milieu plutôt aisé, j’imaginais ce que mes amis, mes anciens collègues, ma belle-famille pouvaient se dire : « le pauvre, ça doit être terrible ce qui lui arrive », « ça lui pendait au nez aussi », « il va falloir trouver un remplaçant pour nos tournois de Golf ». Avant, comme eux, je pensais que ce genre d’affaires n’arrivaient qu’aux prolétaires dans des cités ouvrières. Je croyais être à l’abri, intouchable. Aujourd’hui, c’est sur moi que ça tombe. Qui sait demain ?
Très vite, j’ai compris que si je ne réagissais pas, j’étais bon pour manger de la bouillie à trois dans une pièce trop petite jusque la fin de ma vie. J’étais en colère et cela m’a nourrit. Colère contre cette société en laquelle je croyais, qui affiche fièrement ses valeurs et qui pourtant me traite avec si peu d’humanité. Ma femme a été très présente durant cette épreuve. Elle n’a jamais douté de moi. Elle m’a fait comprendre que je devais rentabiliser mon temps. C’était effectivement la seule chose qu’il me restait. J’ai donc préparé mon dossier, me suis renseigné sur les pistes que j’avais, contacté les gens qui pouvaient m’aider. J’ai fait ça seul. L’Etat m’a offert les services d’un « professionnel » pour m’aider mais ce type transpirait tellement l’incompétence que je me suis dit que j’avais plus de chance si j’agissais seul. Aujourd’hui, je suis prêt.
La porte de l’antichambre dans laquelle je me trouve s’ouvre. Je croise une femme qui sort de la pièce d’audition. Apparemment, plusieurs dossiers sont traités aujourd’hui. Elle regarde dans le vide. Elle a des larmes au bord des yeux. Cela n’a pas dû se passer comme elle le voulait. Je me place devant les 3 personnes qui vont décider de mon destin. Je ne tremble plus. Je fixe le regard de celle du centre qui semble présider. Je sais que ces gens savent tout de moi. Ils n’ont reculé devant rien pour savoir qui j’étais réellement, ce que j’étais capable de faire ou non. Tout a été minutieusement inspecté : ma famille, mes hobbys, mes anciens patrons ou collègues, mes antécédents judiciaires. Je suis même passé devant un psychiatre. Les questionnaires ont été longs et éprouvants. Je retiens mon souffle. L’homme au centre s’éclaircit la voix et engage le dialogue avec les futilités d’usage. Son regard ne laisse rien transparaitre. Il s’arrête, me sourit et prononce les mots que j’attendais depuis six longs mois :
« Après avoir analysé toutes les pièces de votre dossier, je vous informe que nous vous proposons une période d’essai au sein de notre entreprise, félicitations ».
Ah ça me rappelle quelques situations.
Très bien écrit et bien amené.
Je n’ai quasiment rien vu venir.
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