Une après-midi au parc

Aujourd’hui, je suis en récup. J’aime avoir congé quand les autres travaillent. Ne ressentir aucune obligation sociale. Pas de pression pour sortir la veille, pas de proposition pour occuper votre journée. Ce n’est pas que je croule sous les demandes mais il m’arrive de m’obliger à sortir boire un verre parce que c’est vendredi, ce genre de choses.

Après avoir traîné au lit et déjeuné devant la télévision malgré la météo radieuse, je décide d’aller faire un tour au parc. C’est typiquement lors de ce genre de journées que je regrette de ne pas avoir de chien. Cela doit être agréable de pouvoir faire de longues balades, de croiser les autres maîtres, de les saluer d’un geste de la tête complice. Qui sait de pouvoir engager une conversation sur le meilleur vétérinaire de la ville ou sur les différents régimes alimentaires. Autrefois, j’aurais fait un bon maître mais elle n’aimait pas les chiens. Pour elle, ils n’étaient bons qu’à tirer la langue et à remuer la queue jusqu’à ce qu’ils lassent et qu’on les abandonne. Elle préférait les chats : leur grâce, leur nonchalance, leur distance. Nous avions donc adopté une petite siamoise : « Pandora ». Je n’aimais pas le nom mais je n’ai rien dit. Un jour, elle est partie, elle et sa chatte. Je ne les ai jamais revues. Je ne devais plus assez bien tirer la langue ou remuer la queue. Aujourd’hui, je me sens incapable d’avoir à nouveau un animal de compagnie. M’occuper d’un être vivant m’apparaît bien au-dessus de mes forces : le nourrir, lui donner de l’amour, ramasser ses excréments, tout ça.

C’est en arrivant au parc que j’ai remarqué que nous étions mercredi. Les étudiants avaient envahi les lieux. Si j’avais su, je ne serais pas venu. Ce n’est pas que je n’aime pas les jeunes mais …non, en réalité, je ne les aime pas. Je les trouve stupides et paresseux. Comme nous l’étions à leur âge. Je suis nostalgique d’une jeunesse que je n’ai pas connu et qui sans doute n’existe pas. Au moins quand nous étions jeunes, nous venions au parc pour fumer et boire quelques bières. Ici tout le monde est scotché à son smartphone à végéter dans l’herbe. D’ailleurs, il n’y a pas que des étudiants, ce qui m’intrigue. Je m’approche d’une jeune fille qui a les yeux rivés sur son écran et lui demande ce qu’il se passe. J’obtiens en guise de réponse un « Ben on joue à Pokemon Go. Il sort d’où lui ? »

C’est donc ça. J’ai lu quelques articles sur le net mais je ne savais pas que c’était déjà arrivé jusque chez nous. Tout autour de moi, des gens de tous âges, de toutes classes sociales, de toutes origines déambulent dans le parc à la recherche d’animaux invisibles. Je ne sais pas si cela m’émerveille ou me terrifie. Quoiqu’il en soit, je suis l’intrus dans ce parc, sans chien, ni téléphone à la main. Je comprends à ce moment-là que je ne présente pas les critères du chasseur de Pokemon idéal, petit cousin du consommateur occidental parfait :

Je ne suis pas féru de technologie : pas de smartphone, ni de 3-4G
L’idée de collectionner quelque chose ne me stimule pas franchement (le concept de propriété m‘étant relativement étranger)
Je n’ai pas l’esprit de compétition et donc je n’ai nullement envie de combattre d’autres dresseurs.
Enfin, je ne supporte plus la marche à pied ni le jogging, depuis qu’elles sont devenues les activités sportives tendance par excellence, pour peu qu’on puisse publier ses performances en direct sur les réseaux sociaux.

Non définitivement, braconner des êtres vivants imaginaires afin de les transformer génétiquement dans le but de gagner des combats ne m’emballe pas du tout. Néanmoins, tous ces gens ont l’air heureux dans ce parc avec leurs Pokémon. Eux aussi s’échangent des regards complices. Au fond, ils ne dérangent personne. Je suis resté à les observer jusqu’à la fin de l’après-midi puis je suis rentré. J’ai mangé seul devant la télé. Peut-être il y avait-il un Pikachu en face de moi. Une fois le soleil couché, je me suis recroquevillé dans mon lit en attendant que mon réveil m’ordonne de me lever pour affronter ma journée de travail. Que ça doit être triste la vie d’un Pokémon…