Un dîner entre anciens étudiants de la faculté

Top view of friend hands serving food at barbecue garden party - People eating grill bbq dinner with smartphone on table

 

J’avais reçu l’invitation via Facebook. J’avais d’abord crû à une erreur mais non, j’étais bien invité à un dîner entre anciens étudiants de la faculté. J’avais gardé quelques contacts avec certains de mes camarades de classe mais aucune relation forte. Je n’avais d’ailleurs de relations fortes avec personne. Peut-être étais-je simplement un bouche-trou de dernière minute convié pour satisfaire l’ego du couple organisateur ? Quoiqu’il en était, ayant évidemment mon samedi de libre mais ayant néanmoins enregistré la rétrospective consacrée à Tarkovski diffusée sur Arte ce soir-là, je me retrouvai devant la magnifique villa 4 façades de mes hôtes du jour.

La maîtresse de maison m’accueillit avec un grand sourire, elle était « contente de me voir, depuis tout ce temps ». Je lui répondis de même, la remerciai pour son invitation et lui tendis la bouteille de vin rouge que j’avais préalablement achetée chez un pakistanais non loin de là. Habituellement, je préférais la bière mais à presque trente ans, arriver à un souper avec son pack de 6 spéciales n’apparaissait pas du meilleur effet. A moins de détenir quelques notions de zythologie et d’amener une bière issue d’une microbrasserie biologique complètement inconnue, ce qui n’était pas mon cas.

Dès mon arrivé, je fus assailli par Greg, le trublion de nos années de scolarité. Je ne fus pas étonné de le retrouver vu que ce beauf dégageait une certaine bonhomie naturelle, ce qui en faisait un compagnon de soirée idéal. Son entrée en matière résumait à elle-seule la complexité du personnage : « Hey, vous ici ? Alors, Gin Tonic ou Spritz ? » Je n’aimais ni l’un, ni l’autre mais je demandai un Spritz. Celui-ci comportant plus d’ingrédients que son alternative, il m’offrait quelques instants supplémentaires de tranquillité avant le retour de notre « Roi du Cocktail ».

Nous étions quinze invités dont 6 couples. La plupart d’entre nous avaient fait la communication et donc, logiquement, il n’y avait aucune homogénéité dans nos professions : un publicitaire, deux délégués commerciaux, une animatrice culturelle, une guide touristique, un journaliste, une coach de vie (on un truc du genre), un fonctionnaire etc. accompagnés dans la vie d’un juriste, d’une logopède, d’un jeune entrepreneur, d’un kiné, d’une DRH ou encore de chercheur en biologie. Parmi tous ces gens, nous avions deux couples avec des enfants en bas âge, un couple qui attendait l’heureux événement et un autre qui économisait avant de faire le tour de l’Asie du Sud-est en vélo pour « découvrir de nouveaux horizons ». Il ne manquait qu’un couple d’homosexuels en procédure d’adoption pour compléter le tableau. Il y avait aussi 3 célibataires, dont je faisais partie.

Les discussions de la soirée slalomèrent entre les destinations de vacances, la dernière saison de Koh-Lanta et les quartiers pour acheter ou construire. Sur ce dernier point, j’avançai que le quartier mi prolo mi ghetto où j’avais élu domicile était un choix délibéré. Je prétextai être à la recherche de « ce métissage culturel, véritable terreau pour une vie de quartier cosmopolite et vivante » (surtout entre 2 et 5h du matin). En réalité, c’était ce que   mon salaire d’employé de bibliothèque communale pouvait m’offrir de mieux. J’aurais pu ambitionner un autre quartier mais cela impliquait de sacrifier le minimum d’espace vital ou pire d’accepter une colocation. Quant à acheter, cela n’était tout simplement pas envisageable. Depuis la crise des subprimes en 2008, il fallait mettre en garantie une villa sur la côte pour acheter un deux pièces dans un quartier délabré.

Malgré mon sentiment de distance avec les invités, le temps filait et les verres de Château Margaux aussi. Je n’avais aucune envie de partir et je jetai régulièrement des regards vers Catherine, elle aussi célibataire (le troisième étant Greg qui était passé derrière le pc et enchaînait les tubes du début des années 2000). J’avais toujours trouvé qu’elle était la plus belle fille de l’amphi et le temps n’avait fait qu’améliorer sa grâce. Une beauté naturelle, légère, insouciante. La beauté des filles qui ne savent pas qu’elles sont belles. Elle était sortie avec quelques garçons à cette époque mais toujours avec beaucoup d’indépendance et de retenue. J’aurais donné un bras pour être l’un d’eux mais tous mes espoirs s’étaient envolés depuis que j’avais vomi sur ses chaussures lors du bal de deuxième année.

C’est en allant griller une cigarette dehors que je remarquai que j’étais complètement fracassé. J’avais encore envie de faire la fête, ou plutôt de boire mais je savais que j’allais très rapidement devenir le gars un peu trop bourré qu’il ne faut plus inviter. Je piquai une bouteille de la cave à vin de nos hôtes et filai discrètement. Je rentrai chez moi à pied en sirotant mon larcin après avoir cassé le goulot faute de tire-bouchon. J’eus un sourire en pensant qu’ils remarqueront sans doute la disparition de la bouteille avant la mienne…


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