
Je me tiens devant le miroir. Je commence à être habitué à ce rituel du samedi. Repasser mon costard, cirer mes chaussures, prendre le carton d’invitation pour avoir l’adresse exacte de la salle.
J’arrive à un âge où les gens prennent des décisions qui vont influencer une grande partie de leur vie. Ils achètent une maison, ils se marient, ils deviennent parents. Non contents de « franchir une étape », ils nous invitent pour que nous soyons les témoins de leur maturité. Moi, je vis en colocation, ma vie sentimentale est un champ de ruines et le plus souvent ma descendance va mourir dans un mouchoir dans la poubelle de ma chambre, parfois dans une bouche fortement alcoolisée quand la soirée est réussie.
Je me tiens devant le miroir et je me dis que les week-ends se suivent et se ressemblent. Mariages, pendaisons de crémaillères, visites à la maternité, baptêmes, anniversaires. Nous passons nos soirées à célébrer l’officialisation d’actes, qu’ils soient civils, notariaux ou religieux. Mes contemporains ont vraiment bien intégré le schéma : je rencontre un être vivant avec qui je veux partager le reste de mes jours, nous nous constituons un patrimoine mobilier et immobilier commun, nous assurons une descendance à qui donner ce patrimoine, dire de ne pas avoir fait tout ça pour rien. Si en plus, il y a un peu d’amour, c’est bingo.
Je me tiens devant le miroir et je tente d’imaginer l’ensemble des décisions à prendre pour les deux amoureux qui ont pris la lourde responsabilité de faire de ce mariage un jour inoubliable : date, lieu, traiteur et menu, liste d’invités, robe de madame, costume de monsieur, témoins, organisateurs des EVG et EVJF, code vestimentaire des invités, graphisme de l’invitation, plan de table, animation musicale, rédaction des vœux, photographe, etc. etc. etc. . Il faut aussi ajouter les décisions prises par chacun des participants : tenue, horaire d’arrivée, désignation d’un conducteur sobre pour le retour, montant de l’enveloppe pour les jeunes mariés. Autant dire une quantité astronomique de choix, et ce pour célébrer l’amour entre deux personnes, chose la plus naturelle du monde. Hormis le fait que je n’aie pas encore rencontré « la bonne personne », je crois que ce nombre faramineux de décisions à prendre, ajoutées à celles infligées à mes proches, ont supprimé tout envie de me marier un jour. J’ai déjà du mal à savoir si je prends le maxi menu au Mc Do, comment pourrais-je choisir une police de caractère pour les remerciements ?
Je suis devant le miroir et je suis assez confiant pour ce soir. Il faut reconnaître que les mariages sont souvent des soirées très agréables. On y retrouve beaucoup de connaissances, on y mange des produits de qualité, on y boit des breuvages en quantité, on y danse avec frénésie, tous merveilleusement vêtus en costume trois pièces ou en robe de soirée, le tout « gratuitement ». Et puis c’est un des derniers endroits où l’on peut faire des rencontres. Il faut avouer qu’une fois que vous avez fait le tour des collègues, des voisins et des habitués des bars de votre quartier, il devient fort difficile de trouver des partenaires sexuels variés, excepté via les sites et applications dédiés à cet effet. C’est quand même un peu flippant de se dire que les couples se forment lors d’une cérémonie visant à officialiser la formation d’un couple. Endogamie, bonjour.
Je me tiens devant le miroir et il ne reste plus qu’à répondre à cette question qui me pourrit la vie depuis 18 minutes : cravate ou nœud papillon ?