SOUS MON MEILLEUR PROFIL I.

At the psychotherapist

Chapitre 1 : La première consultation

– Toc Toc
– Entrez, installez-vous, je vous en prie.
– Bonjour.
– Dites-moi tout.
– Je me demande un peu ce que je fous ici. Je suis venu sur les conseils d’un proche mais je ne vois pas bien comment vous allez pouvoir m’aider.
– Calmez-vous, dites-moi simplement ce qui ne va pas.
– Voilà, je ne me sens pas super bien dans ma peau. Je suis célibataire, je n’ai pas énormément d’amis, je manque de confiance en moi. Au fond, je crois que je m’ennuie. J’aimerai récupérer un semblant de vie sociale, qu’il se passe quelque chose dans ma vie.
– Je vois. Vous avez des problèmes de santé, des addictions, des antécédents familiaux ?
– Non, pas que je sache.
– Très bien. On va regarder votre profil. Vous avez apporté votre smartphone ?
– Oui, tenez.
– 542 amis, c’est pas mal ça.
– Oui j’ai toujours su facilement ajouter les gens.
– On peut déjà travailler sur une bonne base.
Votre photo de profil, c’est vous enfant c’est ça ?
– Oui, quand j’avais 6 ans
– Et la photo de couverture avec le coucher de soleil et les deux jeunes gens ?
– Mon Erasmus en Espagne
– Ça fait combien de temps ?
– Bientôt 10 ans.
– C’est fort fort nostalgique tout ça.
– Ben c’est que depuis la fin de mes études, il ne se passe plus grand-chose.
– On va laisser ça comme ça pour le moment. Dites-moi plutôt quel utilisateur vous êtes.
– Oh c’est simple, j’y suis tout le temps. Je connais tout des gens. Leurs goûts musicaux, leurs vacances, leurs opinions politiques. Je crois même parfois déceler quand des histoires d’amours naissent entre deux de mes contacts.
– Vous publiez parfois ?
– Jamais. Je n’ose pas. Je ne vois pas pourquoi ma vie intéresserait les gens. Je n’arrive même pas aimer les publications des autres de peur qu’ils me prennent pour un voyeur.
– Ce que vous êtes.
– Pardon ?
– Oui, vous êtes ce qu’on appelle dans le jargon un voyeur. Vous épiez la vie des gens sans qu’on ne vous remarque. Si tout le monde était comme vous, les réseaux sociaux seraient bien chiants. On attendrait tous le smartphone dans une main, la nouille dans l’autre qu’il se passe quelque chose.
– C’est grave ?
– Non non, rassurez-vous, beaucoup de gens font ça. Mais heureusement qu’il y a d’autres profils d’utilisateurs. Les snipers, qui attendent la bonne occasion pour marquer les esprits. Les sérial likers qui, en recherche d’affection, aiment tout en permanence. Les fausses-stars qui pensent que tout ce qu’elles font est captivant et nous partagent les moindres détails de leur vie. Les pseudos-critiques qui aiment donner leurs avis et partager les contenus qu’ils pensent intéressants, etc. etc.
Il y autant de profils que d’utilisateurs mais en règle générale, tout le monde met sa vie en scène.
– Vous êtes quel profil vous ?
– C’est moi qui pose les questions ici.
En tout cas votre cas me semble loin d’être désespéré. On va pouvoir faire quelque chose de vous !
– Ça fait plaisir à entendre. Plus jeune, mon père ne m’encour…
– Ho, je vous arrête tout de suite. Je suis pas psychologue. On va travailler l’emballage. Si la nuit, vous rêvez que votre mère vous chatouille les burnes avec un pissenlit pendant que votre père vous défonce à la batte de base-ball, ça ne me regarde pas. On va juste faire en sorte que les gens ne le remarquent pas et qu’ils pensent que votre vie est cool, donc que vous êtes cool.
– Je vois.
– Dites-moi, vous faites du sport ?
– Oui, du ping-pong.
– Je suis tenu au secret médical, rassurez-vous. Pas de vélo ou de course à pied ?
– Non, pas depuis longtemps en tout cas.
– Bon, dimanche, vous allez courir ou rouler et vous vous débrouillez pour que ça se sache. Runtastic, photo de vos vieilles baskets que vous ressortez, lever ou coucher de soleil dans les bois. Faites comme bon vous semble.
– Compris
– Des activités prévues ce week-end ?
– Je vais à l’opéra samedi.
– Mais c’est très bien ça. Vous allez voir quoi ?
– Cette fois-ci, je pense que c’est Fidelio.
– Cette-fois-ci ?
– Je suis abonné, j’y vais tous les quinze jours.
– Vous prendrez une photo du spectacle et vous publierez en direct « Ce bon vieux Ludwig Van » ou « Fidelio » avec un petit smiley, un truc du genre. Mais ne le faites pas tous les quinze jours. Faudrait pas que les gens pensent que la nuit vous vous habillez baroque et que vous vous enfoncez des chandeliers dans le cul sur du Bach.
– Les gens penseraient ça ?
– Les gens pensent tout un tas de truc vous savez. Il ne faut pas prendre de risque.
– D’accord.
– On part là-dessus et on se revoit la semaine prochaine ?
– Avec plaisir. Merci beaucoup.
– Au revoir. Vous pouvez faire entrer le suivant.


Laisser un commentaire