Nous sommes encerclés et escortés vers la surface. On nous enferme dans la cage avec les singes qui ne nous prêtent pas attention. Dans la salle, le corps de César est transporté sur une scène près des musiciens. Ceux-ci jouent une sorte de requiem sur lequel Jeanne vient poser un chant tragique. Dans la foule, les gens pleurent. A l’inverse de mon compagnon de cellule, hilare, qui se prénomme Yves et qui se trouve être producteur.
« Hahahaha ! Je me suis fait avoir comme un bleu ! Putain d’actrices ! Comment est-ce qu’on se fait encore avoir par ces salopes ? Hahahaha ! Bien joué les filles, bien joué ! »
Moi, je n’ai pas envie de rire. Je regarde cette bande de dégénérés avec dégoût.
– Faut pas faire cette tête-là bonhomme ! T’es tombé dans le panneau ? T’es tombé dans le panneau ! Ce sera pas la dernière fois hein, haha !
– Et que va-t-il se passer maintenant ?
– Je suppose qu’on va avoir droit à une parodie de jugement et puis qu’on sera exécuté sur la place publique. Dire d’assouvir les pulsions morbides de cette assemblée.
– Qui va nous juger ?
– Le public, j’imagine. C’est toujours lui, au final, qui fait et défait les hommes.
A ce moment, un homme monte sur scène pour prendre la parole. Il tient un discours d’hommage à César. Avec sa diction parfaite et son charisme, il captive la foule avec une aisance déconcertante. J’imagine que ça doit être un homme de théâtre. Ou un politicien. Au fond, quelle différence ? Il harangue les participants en évoquant le besoin de justice et de vengeance pour l’assassinat de leur guide. Nous sommes conduits sur l’échafaud sous les huées.
Yves est le premier à être jugé. Notre Monsieur Loyal latin lui donne la possibilité de se défendre pendant 30 secondes. Le producteur se perd volontairement en explications douteuses, ce qui a l’intérêt de faire rire l’assemblée. Néanmoins, cela ne suffit pas. On demande aux participants de statuer sur son sort via la bonne vieille technique romaine du pouce levé. Le résultat est mitigé mais il est finalement condamné à mort. On lui apporte alors une petite fiole qu’on nous annonce être « de la ciguë » . Yves montre un visage inquiet. Il ingurgite le liquide d’un trait. Son visage devient rouge. Il s’effondre à genoux et gerbe ses tripes dans les rires.
C’est à mon tour d’y passer. J’essaye de rester fier mais je n’en mène pas large. Je décide de ne pas tenter de me justifier et toise les gens qui attendent que je prenne la parole. Alors qu’il ne me reste que quelques secondes, j’attrape le flacon, clame « César est mort, vive César » et avale la sentence devant l’assemblée incrédule. Le liquide me brûle la gorge. Mon regard se trouble. Mon estomac se démène dans mon bide. Mes jambes flageolent. Je tiens debout et tente de garder une démarche assurée. Malheureusement, mon corps s’avère moins résistant que mon esprit. Je dégueule le contenu de ma soirée dans un spasme violent. La foule exulte.
C’est ce moment que choisit César pour ressusciter. Son réveil rétablit instantanément le silence. Il remercie les participants, félicite les conspirateurs pour leur partie parfaite et lance officiellement la fête ! Une musique électro explose des baffles incrustés dans les colonnes. Les lumières se tamisent et les gens se mettent à danser fiévreusement. César me donne une tape sur l’épaule et s’en va rejoindre ses convives. Je descends de la scène en espérant pouvoir retrouver Jeanne mais plusieurs personnes viennent m’accoster. Elles me parlent mais je ne comprends pas ce qu’elles disent. Ma tête se fait de plus en plus lourde et tourne affreusement. Je me sens à bout de force. Je m’isole dans un coin et m’affale sur un lit. Je ne tarde pas à m’assoupir.
Quand j’ouvre les yeux, l’assemblée est clairsemée. Il ne reste qu’une vingtaine de personnes qui dansent mollement sur de la new wave. Jeanne n’en fait pas partie. J’essaye de me lever mais la gravité me rattrape. J’ai mal partout et surtout à la tête. Réunissant mes forces, je passe par les toilettes pour me débarbouiller. Je cherche un miroir pour inspecter les dégâts mais en adorateur du beau, ces gens se sont interdits d’en mettre. Je crois qu’il est temps de rentrer.
Je décide de sortir par les jardins pour prendre l’air. Mon actrice est là, seule, en train de fumer une cigarette. Elle est encore plus belle que tout à l’heure. Elle m’accoste. « Vous ne restez pas ? Désolée pour ce soir mais j’avais une mission et vous faisiez une cible idéale. J’ai vu dans vos yeux que vous me suivriez n’importe où. Ce n’est pas très classe, je sais. Je vous offre un dernier verre pour me faire pardonner ? » Je hoche la tête et continue mon chemin, silencieux. Il me faut environ 2000 ans pour rentrer jusque chez moi. Je m’effondre dans mon lit, maussade et fatigué.
Epilogue :
Je suis sorti de mon coma par un bruit strident. On sonne à la porte. J’enfile un peignoir et vais ouvrir. Un livreur me dépose une boite en métal. Elle contient mes vêtements et effets personnels. J’y trouve aussi une carte de visite. Celle de mon actrice manipulatrice. Au verso « Sans rancune j’espère. Appelez-moi et allons déjeuner ». Je jette la carte à la poubelle. Je ne sais pas si elle y restera longtemps. Je rallume mon téléphone pour envoyer un message à Jeanne quand celui-ci sonne. « Al » apparaît à l’écran. Al, c’est mon agent.
– Réveille-toi fi, j’ai une grande nouvelle !
– Tu m’as trouvé du talent ?
– Ouf, tu as l’air encore de bonne humeur… Le directeur de la foire du livre m’a appelé ce matin. Il m’a dit qu’ils avaient mal jugé ton bouquin blablabla et donc qu’ils voulaient te mettre en avant pour la prochaine édition. J’ai eu l’éditeur dans la foulée, ils vont le réimprimer à grand tirage cette fois. Tu vois qu’il était pas si mauvais ce premier roman ! C’est peut-être le début de la gloire ?
– Hum.
– Qu’est-ce qu’il y a ? T’es pas content ?
– Si.
– Ça va ?
– Ouais.
– Non mais t’es sûr que ça va ?
– Ça fait dix ans que j’ai arrêté de me poser la question.
J’ai raccroché, je me suis servi un thé glacé-dafalgan et j’ai mis un Miles Davis sur la platine.
C’était sans doute le début des emmerdes.
Fin.