
Chapitre 1
« Je crois que j’ai rencontré quelqu’un d’autre. »
Les dix mots avaient flotté dans l’air tels des rapaces en chasse avant de me fracasser la poitrine. Mon estomac s’était tordu comme un torchon qu’on essore et mon cœur frappait de toutes ses forces pour sortir de sa cage. Elle avait dit ça de façon calme, un peu enjouée, un verre de rosé à la main, sa vapoteuse dans l’autre. Par chance, j’étais de dos, la tête dans le frigo. Je ne savais plus très bien ce que j’étais venu y faire. J’aurais prié pour pouvoir m’y blottir quelques minutes pour reprendre mes esprits. J’ai composé tant que j’ai pu un visage convenable et je me suis tourné vers elle dans un mouvement qui m’a paru au ralenti. « Ah oui ? Mais c’est génial ça ! ».
« Donner l’amitié à qui veut l’amour c’est donner du pain à qui meurt de soif ». J’avais lu cette phrase de merde un paquet de fois sur le net ces dernières années. De mon expérience, c’était plutôt donner du crack à qui veut de l’héro. Une dose, moins forte, moins pure, mais une dose quand même. Un ersatz, un substitut, un palliatif pour nourrir une même addiction. J’avais rencontré Camille deux ans plus tôt sur un projet de recherche. J’avais flashé dès la première réunion. Elle était belle mais n’en jouait pas. Elle avait de grands yeux noisette, un nez pointu, des lèvres fines et affichait généralement un sourire en coin, délicieusement espiègle. Surtout, elle était mariée, ce qui avait plutôt facilité l’approche en réalité. Nous nous étions tout de suite entendus et aux séances de travail, pas toujours justifiées, avaient vite succédés des apéros puis des restos ou des cinés.
Avec le recul, je me rends bien compte que le malentendu s’était joué dès le début. Son mariage battait de l’aile et j’arrivais au bon moment pour offrir une nouvelle présence masculine, attentive et bienveillante. Dans ces cas-là, malheureusement, vous ne voyez que ce que vous voulez voir. Un simple baiser à la fin d’une soirée trop arrosée et vous vous retrouvez à changer les draps du lit avant chacun de ses passages à la maison. La machine à fantasmes a besoin de bien peu pour se mettre en branle. Sa confidence annonçait la fin de mes douces mais imbéciles illusions. Je n’avais jamais fait partie de ses plans. J’étais bon pour me repasser en boucle tous les instants passés ensemble afin de réaliser combien j’étais à côté de la plaque. Vous savez comme quand vous regardez un film de Night Shyamalan pour la seconde fois, généralement la dernière.
La semaine qui a suivi je n’ai vu personne, prétextant des dossiers urgents à devoir boucler pour avoir la paix. Puis j’ai décidé de partir. De me prendre 15 jours de vacances pour changer d’air. C’est tombé un peu par hasard sur le Mexique. Personne n’a paru surpris au bureau et j’ai expliqué à mes proches que je partais pour le boulot. Je ne vois pas bien ce qui pouvait justifier que je me rende de l’autre côté de l’Atlantique pour mon travail mais personne n’avait jamais très bien compris ce que je faisais pour gagner ma vie. Pour vivre tranquille, vivons cachés. Pour vivre heureux, par contre…
C’est la première fois que je pars en voyage seul. Installé au hublot, avant le décollage, je suis pris d’un sentiment de panique. Je n’ai jamais eu peur en avion mais d’un coup j’imagine un réacteur prendre feu, l’appareil piquer du nez, l’hystérie gagner la foule. Aux aérophobes, les esprits cartésiens invoquent souvent les statistiques. Comme d’habitude, ils ne saisissent rien à l’âme humaine. C’est sans doute pour cela qu’on les place à tous les postes de décision. Ce qui terrorise les gens, ce n’est pas de mourir mais c’est de s’en rendre compte. Evidemment, tout le monde signerait pour y passer endormi dans son lit mais au final, décéder sur le coup dans un accident de voiture ou dans un attentat n’a rien d’angoissant. Dans un avion par contre, vous avez le temps de comprendre ce qu’il se passe, de voir votre fin arriver, de penser à ceux que vous aimez. Si notre Airbus venait à s’écraser, je n’aurais personne à prendre dans mes bras, personne à qui adresser un dernier mot. Je crèverais seul, coupé du reste du monde, en mode avion.
L’hôtesse passe et me demande si tout va bien. Je réponds oui par automatisme. Sur la tablette, un prospectus vante les plaisirs du Mexique : soleil, chaleur, plage, gastronomie relevée et tequila. Une autochtone, habillée légèrement, affiche un grand sourire qui invite à toutes les perspectives. Je me rends compte que je n’ai jamais été attiré par les latinos. Bordel, mais qu’est ce que je fous là ?