
Chapitre 2
« Ah ! Je crois que je suis à côté de vous. »
Je me suis plu à imaginer une jolie étudiante qui partait en Erasmus et qui aurait pris du plaisir à discuter avec un homme plus âgé, cultivé et charmeur. Plus vraisemblablement, j’espérais surtout quelqu’un qui passe le voyage sur son smartphone ou à dormir. Je suis tombé sur Jean-Claude, un solide gaillard de 100 kilos qui arbore fièrement queue de cheval, bouc poivre et sel et chemise à fleurs. Jean-Claude fait partie de ces gens qui ont le regard insistant, le mauvais bon mot facile et qui adorent se livrer. Il faudra qu’on leur explique un jour que la vie des inconnus n’intéresse personne. C’est déjà assez compliqué de se tenir au courant de celle des gens qu’on aime.
J-C ne met que 3 minutes après s’être installé à côté de moi pour lancer d’un ton mi-crâneur mi-complice et donc insupportable :
– Première fois au Mexique ?
– Effectivement.
– Vous allez voir, les filles, c’est quelque chose !
Sa confidence me laisse un goût amer. Non pas que je remette en doute les compétences de Jean-Claude en matière de plastique féminine, encore moins de tourisme sexuel mais son intonation implique une sorte de camaraderie, lui et moi devenant des frères houellebecquiens qui pourraient très bien se retrouver au bord d’une piscine à se faire sucer en sirotant un cocktail (un sex on the beach, clin d’œil appuyé, dans son cas). Les hommes voyageant seuls sont-ils condamnés à laisser s’exprimer ce qu’il y a de moins reluisant en eux ? Je botte en touche.
– Je suis là pour le travail.
– Moi aussi, vous savez. Mais faut savoir se faire plaisir ! Non ?
Qu’est ce que vous voulez répondre à ça ? Rien. Alors je souris bêtement et je prie pour que le silence s’installe. Le répit est de 186 secondes.
– Vous avez déjà regardé les films dispos pour le trajet ?
– Euh…Non.
– Apparemment, il y a le dernier Marvel.
– Ce n’est pas trop mon truc.
– Ouais c’est vrai, c’est pas terrible Marvel. Au début c’était bien mais maintenant ça craint. J’espère qu’il y a le nouveau film avec The Rock. Il envoie ce mec !
Je me suis toujours considéré comme quelqu’un de progressiste et tolérant, prônant la diversité, la fraternité, le respect d’autrui mais bon dieu les gens ne font quand même rien pour qu’on les aime. Encore une fois, mes idéaux de gauche se fracassent sur la médiocrité ambiante. Au fond, j’apprécie l’harmonie, le calme, la politesse et Françoise Hardy. C’est difficile à accepter mais je suis sans doute un réac refoulé. Je comprends très vite que Jean-Claude ne compte pas plus regarder un film, que lire ou dormir. Jean-Claude veut parler.
– Vous avez pas envie d’une bière ?
– Euh, si pourquoi pas ?
Il s’adresse dans un espagnol impeccable à l’hôtesse qui nous ramène deux cannettes bien fraiches. J-C gagne un point dans mon estime. Il est à 1.
– Vous êtes un habitué du Mexique alors ?
– Du Mexique et d’ailleurs, j’ai pas mal bourlingué.
– Pour votre boulot ?
– On peut dire ça.
– Je ne voulais pas être indiscret.
– Non mais disons que je vends des choses et d’autres. Et que rien n’est impossible, si vous voyez ce que je veux dire.
Je suis donc tombé sur un lourdingue mytho, espèce plus rare mais pas la moins divertissante. Pour une fois, je ne tiens pas à ce qu’il soit le seul à s’amuser.
– Intéressant.
– Ah oui ? Et vous ? Qu’est-ce que vous faites dans la vie ?
– J’ai une formation d’archéologue mais depuis plusieurs années je découvre de nouveaux sites historiques, avec tous les objets précieux que cela implique.
– Excellent.
– Parlons-nous franchement Jean-Claude. Vous pourriez m’obtenir des véhicules, des armes, des hommes si je vous contactais dans quelques jours ? Je ne peux pas vous en dire plus mais il ne fait pas de doute que le Mexique regorge encore de vestiges aztèques inexplorés.
– Je peux vous trouver tout ce qui est possible et imaginable. Tenez.
Il me tend sa carte de visite qui annonce un commerce d’import-export et nous recommande deux verres. Nous enchaînons les anecdotes de nos périples, lui s’échappant à dos d’âne d’une prison de Brunéi, moi découvrant le Livre des morts et plusieurs vases canopes dans la citée d’Hamunaptra. Au milieu de la nuit, nous nous endormons ivres de houblons et d’affabulations. Au matin, l’avion entame sa descente. Je me réveille avec un léger mal de crâne. Derrière le hublot, la terre et la mer semblent se livrer une bataille à l’issue incertaine. Je n’ai pas pensé à Camille depuis plus de quinze heures. Ces vacances ne commencent pas si mal.