Vacance 4

Chapitre 4

Como sacudía el jibe
 A Chan Chan le daba pena

C’est une plage abritée du vent par de hauts rochers tranchants. Sur la scène, quelques musiciens en costards blancs jouent des standards de musique latine. Il y a un bar dans une paillote où l’on sert rhums, tequila et cocktails. Partout les gens dansent, chantent et portent des toasts à tout va. C’est un endroit hors du temps, débarrassé de la frénésie du monde. Un lieu propice aux rencontres et aux folies qui parfois les accompagnent.

En tout cas, j’aurais aimé que ce soit cela. Mais non.  C’est juste une soirée dans un night-club, dans tout ce que ça a de cliché et de vulgaire : un videur bodybuildé qui se prend pour Saint-Pierre, une bouillasse musicale qui empêche toute discussion, des filles en bande qui gigotent sur un dance floor, des mecs confiants qui essayent de les accoster, des plus timides qui picolent pour se donner du courage. Je file au bar et commande une vodka, qui ne reste pas fille unique très longtemps.

J’espérais que l’alcool puisse me réconforter mais il n’en est rien.  Plus j’observe autour de moi et plus j’ai la conviction que je suis pile à l’endroit où je suis le moins à ma place dans l’univers. Je m’apprête à partir quand je croise son regard. L’échange est furtif mais réel. Elle a des cheveux noirs, plutôt courts, un visage rond et le teint halé des filles du pays. Elle danse sans se soucier du monde, ce qui ne laisse jamais indifférent. Soudain, elle me sourit. Mon ventre se réveille et je maudis d’avance ma timidité. A la fin du morceau, elle se dirige vers la terrasse et mon regard ne peut se détacher de ses épaules nues, de ses hanches larges, de son short en jeans puis enfin d’une salamandre qu’elle a tatouée sur le mollet. Je sors à mon tour sans plus réfléchir.

Mon « Hola » est plus assuré qu’attendu. Elle me propose une cigarette que j’accepte malgré mes deux ans sans tabac. De ses gestes se dégagent une confiance irrésistible. Elle m’apprend dans un français bancal donc craquant qu’elle s’appelle Isabel et qu’elle tient une boutique de souvenirs dans le village d’à côté. Nous partageons quelques shoots et quelques banalités puis déjà nous ressentons le besoin de nous extirper de cet endroit sordide.  Dehors, il faut toujours chaud. Nous marchons côte à côte dans la rue encore animée. Parfois, nous nous frôlons et chaque contact avec sa peau m’électrise. Elle s’arrête devant une échoppe pour commander quelques bières. Le serveur lui tend avec un regard complice. Je comprends qu’il s’agit d’un rituel habituel et que je ne suis sans doute qu’une conquête parmi tant d’autres. Mes sens sont au bord de l’explosion.

Nous bifurquons vers une plage déserte et nous installons à l’orée d’un bosquet. Nous ne disons plus grand-chose, laissant la bière, les lèvres, les regards attiser la tension. A cet instant, je n’ai plus de prénom, plus de chagrin, plus de travail, plus de famille, plus de pays, plus d’histoire. Je ne suis plus qu’un homme dévoré par le désir, à la merci d’une prêtresse qui a le pouvoir de le rendre à la vie. Je m’apprête à l’embrasser quand elle se lève et me demande de l’attendre les yeux fermés. Après plusieurs minutes qui me paraissent des heures, une voix grasse retentit. “Senior ! Senior ! Policía ! “


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